Objectif Reprise – Auteur : Anthony LANDREAU, dirigeant du cabinet Deal Finance www.dealfinance.fr

  • Profitabilité ou trésorerie : quel critère privilégier dans une stratégie de build-up ?

    Dans les opérations de croissance externe, et plus encore dans les stratégies de build-up, les dirigeants se retrouvent fréquemment face à une question déterminante : parmi plusieurs entreprises cibles, quel critère doit réellement guider la sélection finale ?
    Lorsque trois sociétés sont analysées simultanément, comme c’est le cas dans la situation posée, le dirigeant peut être tenté d’orienter son choix sur un critère simple et immédiatement observable : la trésorerie disponible. Après tout, une société qui dispose d’une trésorerie confortable semble offrir un coussin de sécurité, réduire le besoin de financement immédiat, voire « s’auto-financer ».

    Mais faut-il privilégier cet élément de trésorerie disponible ? Ou bien donner davantage de poids à un critère fondamental : la profitabilité structurelle de la cible ?

    Dans cet article, nous analysons en profondeur les implications de ces deux critères et démontrons pourquoi, dans une stratégie de build-up, la profitabilité est largement supérieure à la trésorerie disponible lorsqu’on raisonne à moyen-long terme.


    1. Comprendre la logique d’un build-up : une stratégie de création de valeur cumulée

    Une stratégie de build-up consiste à agréger plusieurs entreprises complémentaires pour constituer un groupe plus solide, plus rentable, plus visible et mieux valorisé. Elle repose sur plusieurs dynamiques :

    • la mise en commun de ressources (commerciales, techniques, RH, back-office) ;
    • la génération de synergies opérationnelles ;
    • l’amélioration de l’efficacité et des marges ;
    • l’augmentation de la capacité d’endettement et donc de financement ;
    • et, in fine, la création d’un multiple de valorisation supérieur, lors d’un exit notamment.

    Autrement dit : ce qui fait la réussite du build-up, ce n’est pas la situation financière ponctuelle de chaque cible, mais leur capacité combinée à générer du cash-flow dans la durée.

    C’est un élément central pour comprendre pourquoi la trésorerie n’est jamais un critère prioritaire dans ce type de stratégie.


    2. La trésorerie disponible : un critère trompeur, souvent temporaire

    La trésorerie peut sembler attractive pour plusieurs raisons :

    • elle réduit le besoin de financement immédiat ;
    • elle offre une marge de sécurité post-acquisition ;
    • elle peut financer des coûts d’intégration ou de restructuration ;
    • elle donne une impression de solidité aux yeux du dirigeant.

    Mais il faut garder à l’esprit plusieurs limites essentielles.

    2.1. La trésorerie est un stock, pas un flux

    Une trésorerie ponctuelle n’indique en rien la capacité de la société à être génératrice de cash dans les mois et années à venir. Dans certains cas, elle peut même être le résultat :

    • d’une diminution exceptionnelle des investissements ;
    • d’un événement non récurrent (cession d’actifs, subventions, indemnités) ;
    • d’un changement de BFR favorable mais provisoire.

    Une trésorerie élevée aujourd’hui ne garantit absolument pas qu’elle le sera demain.

    2.2. La trésorerie disparaît vite lorsqu’elle finance une intégration

    Une fois la cible intégrée au groupe, cette trésorerie peut être mobilisée rapidement pour :

    • financer une transition managériale ;
    • absorber des coûts d’intégration et d’harmonisation (informatique, RH, organisation, process) ;
    • restructurer l’organisation commerciale ou opérationnelle ;
    • combler un décalage de BFR lié au changement de dimension.

    Autrement dit, la trésorerie fond souvent dans les 12 à 24 mois qui suivent l’acquisition.

    2.3. Une trésorerie importante peut masquer des faiblesses structurelles

    Certaines entreprises accumulent de la trésorerie en réduisant les coûts ou en ralentissant les investissements, ce qui peut masquer :

    • un manque de croissance organique,
    • une incapacité à maintenir leur niveau de compétitivité,
    • une absence d’innovation ou de renouvellement.

    Dans une logique de build-up tournée vers l’avenir, c’est un risque majeur.


    3. La profitabilité : le moteur de la réussite d’un build-up

    Contrairement à la trésorerie, la profitabilité est un indicateur dynamique, durable et structurant. Elle mesure la capacité de l’entreprise à générer de la valeur dans le temps.

    Dans une stratégie de build-up, la profitabilité est déterminante à au moins cinq niveaux.


    3.1. Elle détermine la capacité d’autofinancement du groupe consolidé

    Une société rentable contribue immédiatement à :

    • générer du cash-flow opérationnel,
    • financer les futures acquisitions,
    • rembourser la dette d’acquisition,
    • renforcer la structure financière du groupe.

    À l’inverse, une société peu profitable peut consommer plus de cash qu’elle n’en produit, créant une tension permanente dans le groupe consolidé.

    3.2. Elle augmente la valeur du groupe à l’exit

    La plupart des opérations de build-up visent une sortie dans 4 à 7 ans.
    Un acquéreur (industriel ou financier) valorise principalement :

    • la performance opérationnelle consolidée,
    • l’EBITDA récurrent,
    • la croissance des marges,
    • la qualité des revenus.

    Plus les cibles apportent de profitabilité, plus le multiple de valorisation final est élevé.

    3.3. Elle facilite et accélère la levée de dette

    Dans le cadre d’un build-up, la dette est une ressource clé. Les banques et les fonds regardent avant tout :

    • l’EBITDA,
    • la marge opérationnelle,
    • la récurrence des revenus.

    Une société profitable permet souvent de lever davantage de dette, sur de meilleures conditions, facilitant le reste de la stratégie de croissance externe.

    3.4. Elle absorbe les coûts d’intégration

    Les phases d’intégration sont coûteuses et peuvent durer 12 à 36 mois selon la complexité.
    Une cible profitable :

    • absorbe plus facilement ces coûts,
    • réduit l’impact sur la trésorerie du groupe,
    • permet une montée en puissance plus fluide.

    Une cible peu rentable peut mettre en péril la trajectoire financière du build-up.

    3.5. Elle réduit le risque global du build-up

    Un build-up est une stratégie qui comporte des risques :
    hétérogénéité des cultures, complexité organisationnelle, alourdissement de la structure de coûts, BFR plus difficile à piloter…

    Une société profitable apporte un matelas de sécurité naturel, car elle génère elle-même les ressources nécessaires pour faire face aux aléas.

    4.Trésorerie ou profitabilité : que choisir lorsque trois cibles sont sur la table ?

    La question initiale posée par votre client est légitime :

    « Si nous avons le choix, devons-nous privilégier la cible la plus riche en trésorerie ou la plus profitable ? »

    La réponse, dans 90 % des cas de build-up, est claire :

    Il faut privilégier la profitabilité structurelle et récurrente.

    La trésorerie peut venir en second critère, mais jamais en premier.

    4.1 Le bon arbitrage consiste souvent à se poser les questions suivantes :

    ✔ 1. Quelle cible apporte le plus d’EBITDA récurrent et solide ?

    C’est le cœur de la création de valeur.

    ✔ 2. Quelle cible s’intègre le mieux dans la stratégie de groupe ?

    Synergies commerciales, techniques, géographiques, culturelles.

    ✔ 3. Quelle cible améliore le mieux la capacité d’endettement du groupe ?

    Une cible profitable peut « porter » d’autres acquisitions plus tard.

    ✔ 4. Quelle cible est la plus résiliente ?

    Analyse de la régularité des marges sur 3 à 5 ans.

    ✔ 5. Quelle cible apporte la meilleure dynamique de croissance future ?

    La trésorerie ne fait pas grandir une entreprise, un modèle rentable si.

    6. Conclusion : la profitabilité comme véritable boussole stratégique

    Dans un build-up, chaque acquisition doit contribuer à construire un groupe :

    • robuste,
    • générateur de cash-flow,
    • capable de financer lui-même sa croissance,
    • valorisable à un multiple attractif.

    La trésorerie peut faciliter les premiers pas, mais c’est un critère court-termiste.
    La profitabilité, en revanche, est le véritable moteur de la création de valeur.

    C’est pourquoi, lorsqu’un dirigeant doit arbitrer entre plusieurs cibles dans le cadre d’une stratégie de build-up, la recommandation stratégique est claire : choisir la profitabilité plutôt que la trésorerie.